vendredi 10 janvier 2020

Nouvelles du monde médical sur nos yeux (10 janvier 2020)


Mais cette fatalité ne sera peut-être bientôt plus qu'un mauvais souvenir grâce aux progrès spectaculaires de la rétine artificielle. Et, dans ce domaine, c'est la France qui fait la course en tête derrière le grand ophtalmologiste José-Alain Sahel et son célèbre  Institut de la vision . Cet important centre de recherche, qui fête cette année ses dix ans, est à l'origine de plusieurs spin-off. Parmi ceux-ci, la société  Pixium Vision a mis au point un dispositif de rétine artificielle totalement révolutionnaire. Appelé  « Prima » , ce nouveau type d'« oeil bionique » a été testé avec succès sur des primates, expérience qui a donné lieu, le 2 décembre dernier, à une  publication dans la revue « Nature Biomédical Engineering » . Mais, dans les faits, le processus est beaucoup plus avancé, puisqu'un essai clinique de phase II a démarré voilà un an sur cinq personnes âgées que la DMLA avait rendues quasi aveugles : trois d'entre elles ont recouvré une acuité visuelle supérieure à celle qu'auraient pu leur conférer toutes les rétines artificielles de précédente génération (y compris celle de Pixium, Iris II) et sont désormais capables de lire, même de petites lettres écrites en minuscules ! Quant aux deux autres, ce n'est pas que la rétine artificielle n'a pas fonctionné pour elles, mais elle n'a pu être implantée correctement au fond de l'oeil à la suite d'incidents survenus lors de l'acte chirurgical. « Ce que cet essai nous montre, c'est que, dès lors que l'implant est positionné sous la rétine en région centrale, il procure une bonne acuité visuelle dans 100 % des cas », se réjouit le chercheur de l'Inserm Serge Picaud, qui a mené l'étude parue dans « Nature Biomedical Engineering ».
Perfectionnements
Dans la DLMA mais aussi dans un certain nombre d'autres maladies oculaires, comme la rétinopathie pigmentaire (30.000 cas en France), ce sont les photorécepteurs, ces cellules sensibles à la lumière tapissant la rétine, qui sont détruits : faute de photorécepteurs pour transformer les signaux lumineux en signaux électriques transmis via le nerf optique au cerveau, celui-ci ne « voit » rien. Comme Iris II ou ses concurrents directs de précédente génération - Argus II de l'américain Second Sight, Retina Implant de l'allemand AG -, Prima vise à se substituer à ces photorécepteurs défaillants. C'est le rôle de la rétine artificielle proprement dite, partie intégrante d'un système plus vaste (lire ci-dessous). Cet implant prend la forme d'un carré de silicium de 2 millimètres de côté pour 30 microns d'épaisseur. « Sa pose ne nécessite qu'un acte chirurgical relativement simple. Elle pourrait presque se faire en ambulatoire », commente Serge Picaud.
Sur ce timbre-poste miniature se concentrent 378 électrodes chargées de stimuler électriquement les neurones rétiniens (appelés « cellules ganglionnaires ») à la place des photorécepteurs. Ces 378 électrodes permettent de générer autant de pixels. Plus une image comporte de pixels, meilleure est sa résolution. Des simulations informatiques ont montré que, en dessous de 600 pixels, l'image est si dégradée qu'il est difficile de reconnaître des visages : nous n'y sommes pas encore. Toutefois, ce niveau de résolution est bien meilleur que celui offert par les dispositifs de précédente génération. Les deux prédécesseurs directs de Prima, Iris II et Argus II (Retina Implant, n'étant pas, comme les deux autres, un dispositif épirétinien, fonctionnait selon un principe différent) disposaient de, respectivement, 150 et 60 électrodes.
Modifier le cerveau pour restaurer la vue
Bien des perfectionnements ont été apportés par Pixium Vision à sa nouvelle rétine artificielle pour lui permettre d'atteindre un tel niveau de résolution. L'une de ces améliorations, capitale, est le retour local du courant électrique. Toutes les électrodes fonctionnent par paire : l'une pour libérer des électrons (la cathode), l'autre - sa contre-électrode - pour les capter (l'anode). Dans les dispositifs de précédente génération, électrode et contre-électrode, distantes l'une de l'autre, étaient reliées par un fil. Ces nappes de fil, qui présentaient certains inconvénients, sont absentes du nouvel implant, dans lequel chaque électrode est encapsulée dans une alvéole formant sa contre-électrode, de sorte que le courant libéré à un endroit est recapté au même endroit : c'est le principe du retour local du courant, rendu possible par la structure en nid-d'abeilles du nouvel implant.
Pointillisme de Seurat
Outre qu'elle permet de se dispenser de fils, cette nouvelle architecture offre une image de bien meilleure résolution. Puisque le courant généré par une électrode, recapté à l'endroit même où il est émis, ne diffuse pas sur de larges distances, il n'empiète pas sur celui généré par l'électrode voisine. D'où, au final, une image plus « nette et sans bavures ». Serge Picaud a une belle métaphore pour résumer cela. « Seurat a peint Venise à l'aquarelle, puis selon sa technique pointilliste. Quand on compare une même vue représentée de ces deux façons différentes, on se rend bien compte que le pointillisme offre une quantité de détails, une résolution, bien supérieures à celles de l'aquarelle. »
L'autre innovation de Prima : le faisceau infrarouge
Comme tous les autres dispositifs d'« œil bionique », la rétine artificielle Prima de Pixium Vision est loin de se limiter au seul implant de silicium de 2 millimètres de côté placé sur la rétine. Celui-ci n'est qu'une composante - il est vrai cruciale - d'un système. Concrètement, Prima consiste en une paire de lunettes high-tech, doublée d'un mini-ordinateur de poche. Sur la monture des lunettes, une caméra neuromorphique (c'est-à-dire imitant le processus de la vision naturelle) capte l'image avant de l'envoyer au mini-ordinateur de poche qui lui fait subir divers retraitements algorithmiques consistant notamment à la faire passer de la couleur au monochrome. L'image ainsi retraitée est renvoyée aux verres (opaques) des lunettes, lesquels fonctionnent comme un vidéoprojecteur projetant l'image monochrome dans le fond d'oeil sous forme d'un faisceau infrarouge. Ce choix de l'infrarouge ne doit rien au hasard, et constitue une autre des avancées techniques de Prima. Cette longueur d'onde est bien moins nocive pour l'oeil humain que d'autres correspondant à des fréquences plus élevées. On peut donc sans danger en augmenter l'intensité. Suffisamment pour que ce faisceau soit assez énergétique pour activer à lui seul les électrodes et donc les pixels de l'implant rétinien. En d'autres termes, plus besoin d'un dispositif d'alimentation en énergie (antenne ou batterie), comme dans les rétines artificielles de précédente génération. Ce qui, là encore, revient à simplifier grandement le système, et à rendre encore plus facile son implémentation sur un malade.
DMLA : les chiffres clefs
La dégénérescence maculaire liée à l'âge (DMLA) constitue la première cause de handicap visuel chez les plus de 50 ans.
Elle affecterait de 25 à 30 % des personnes âgées de plus de 75 ans.
Initialement, la DMLA ne touche le plus souvent qu'un œil. Mais le risque de bilatéralisation (atteintes des deux yeux) est de plus de 40 % à cinq ans