Mais cette fatalité ne sera peut-être bientôt plus qu'un mauvais souvenir grâce
aux progrès spectaculaires de la rétine artificielle. Et, dans ce domaine,
c'est la France qui fait la course en tête derrière le grand
ophtalmologiste José-Alain Sahel et son célèbre Institut de la vision .
Cet important centre de recherche, qui fête cette année ses dix ans, est à
l'origine de plusieurs spin-off. Parmi ceux-ci, la société Pixium Vision
a mis au point un dispositif de rétine artificielle totalement révolutionnaire.
Appelé « Prima » , ce nouveau type d'« oeil bionique » a été
testé avec succès sur des primates, expérience qui a donné lieu, le
2 décembre dernier, à une publication dans la revue « Nature Biomédical Engineering » . Mais, dans les faits, le processus est beaucoup plus
avancé, puisqu'un essai clinique de phase II a démarré voilà un an sur cinq
personnes âgées que la DMLA avait rendues quasi aveugles : trois d'entre
elles ont recouvré une acuité visuelle supérieure à celle qu'auraient pu leur conférer
toutes les rétines artificielles de précédente génération (y compris celle de
Pixium, Iris II) et sont désormais capables de lire, même de petites lettres
écrites en minuscules ! Quant aux deux autres, ce n'est pas que la rétine
artificielle n'a pas fonctionné pour elles, mais elle n'a pu être implantée
correctement au fond de l'oeil à la suite d'incidents survenus lors de l'acte
chirurgical. « Ce que cet essai nous montre, c'est que, dès lors que
l'implant est positionné sous la rétine en région centrale, il procure une
bonne acuité visuelle dans 100 % des cas », se réjouit le chercheur de
l'Inserm Serge Picaud, qui a mené l'étude parue dans « Nature Biomedical
Engineering ».
Perfectionnements
Dans la DLMA mais aussi dans un certain nombre d'autres maladies oculaires,
comme la rétinopathie pigmentaire (30.000 cas en France), ce sont les
photorécepteurs, ces cellules sensibles à la lumière tapissant la rétine, qui
sont détruits : faute de photorécepteurs pour transformer les signaux
lumineux en signaux électriques transmis via le nerf optique au cerveau,
celui-ci ne « voit » rien. Comme Iris II ou ses concurrents directs
de précédente génération - Argus II de l'américain Second Sight, Retina Implant
de l'allemand AG -, Prima vise à se substituer à ces photorécepteurs
défaillants. C'est le rôle de la rétine artificielle proprement dite, partie
intégrante d'un système plus vaste (lire ci-dessous). Cet implant prend la
forme d'un carré de silicium de 2 millimètres de côté pour 30 microns
d'épaisseur. « Sa pose ne nécessite qu'un acte chirurgical
relativement simple. Elle pourrait presque se faire en ambulatoire »,
commente Serge Picaud.
Sur ce timbre-poste miniature se concentrent 378 électrodes chargées de
stimuler électriquement les neurones rétiniens (appelés « cellules
ganglionnaires ») à la place des photorécepteurs. Ces 378 électrodes
permettent de générer autant de pixels. Plus une image comporte de pixels,
meilleure est sa résolution. Des simulations informatiques ont montré que, en
dessous de 600 pixels, l'image est si dégradée qu'il est difficile de
reconnaître des visages : nous n'y sommes pas encore. Toutefois, ce niveau
de résolution est bien meilleur que celui offert par les dispositifs de
précédente génération. Les deux prédécesseurs directs de Prima, Iris II et
Argus II (Retina Implant, n'étant pas, comme les deux autres, un dispositif
épirétinien, fonctionnait selon un principe différent) disposaient de,
respectivement, 150 et 60 électrodes.
Modifier le cerveau pour restaurer la vue
Bien des perfectionnements ont été apportés par Pixium Vision à sa nouvelle
rétine artificielle pour lui permettre d'atteindre un tel niveau de résolution.
L'une de ces améliorations, capitale, est le retour local du courant
électrique. Toutes les électrodes fonctionnent par paire : l'une pour
libérer des électrons (la cathode), l'autre - sa contre-électrode - pour les
capter (l'anode). Dans les dispositifs de précédente génération, électrode et
contre-électrode, distantes l'une de l'autre, étaient reliées par un fil. Ces nappes
de fil, qui présentaient certains inconvénients, sont absentes du nouvel
implant, dans lequel chaque électrode est encapsulée dans une alvéole formant
sa contre-électrode, de sorte que le courant libéré à un endroit est recapté au
même endroit : c'est le principe du retour local du courant, rendu
possible par la structure en nid-d'abeilles du nouvel implant.
Pointillisme de Seurat
Outre qu'elle permet de se dispenser de fils, cette nouvelle architecture offre
une image de bien meilleure résolution. Puisque le courant généré par une
électrode, recapté à l'endroit même où il est émis, ne diffuse pas sur de
larges distances, il n'empiète pas sur celui généré par l'électrode voisine.
D'où, au final, une image plus « nette et sans bavures ». Serge
Picaud a une belle métaphore pour résumer cela. « Seurat a peint
Venise à l'aquarelle, puis selon sa technique pointilliste. Quand on compare
une même vue représentée de ces deux façons différentes, on se rend bien compte
que le pointillisme offre une quantité de détails, une résolution, bien
supérieures à celles de l'aquarelle. »
L'autre innovation de Prima : le faisceau infrarouge
Comme tous les autres dispositifs d'« œil bionique », la rétine
artificielle Prima de Pixium Vision est loin de se limiter au seul implant de
silicium de 2 millimètres de côté placé sur la rétine. Celui-ci n'est
qu'une composante - il est vrai cruciale - d'un système. Concrètement, Prima
consiste en une paire de lunettes high-tech, doublée d'un mini-ordinateur de
poche. Sur la monture des lunettes, une caméra neuromorphique (c'est-à-dire
imitant le processus de la vision naturelle) capte l'image avant de l'envoyer
au mini-ordinateur de poche qui lui fait subir divers retraitements
algorithmiques consistant notamment à la faire passer de la couleur au
monochrome. L'image ainsi retraitée est renvoyée aux verres (opaques) des
lunettes, lesquels fonctionnent comme un vidéoprojecteur projetant l'image
monochrome dans le fond d'oeil sous forme d'un faisceau infrarouge. Ce choix de
l'infrarouge ne doit rien au hasard, et constitue une autre des avancées
techniques de Prima. Cette longueur d'onde est bien moins nocive pour l'oeil
humain que d'autres correspondant à des fréquences plus élevées. On peut donc
sans danger en augmenter l'intensité. Suffisamment pour que ce faisceau soit
assez énergétique pour activer à lui seul les électrodes et donc les pixels de
l'implant rétinien. En d'autres termes, plus besoin d'un dispositif
d'alimentation en énergie (antenne ou batterie), comme dans les rétines artificielles
de précédente génération. Ce qui, là encore, revient à simplifier grandement le
système, et à rendre encore plus facile son implémentation sur un malade.
DMLA : les chiffres clefs
La dégénérescence maculaire liée à l'âge (DMLA) constitue la première
cause de handicap visuel chez les plus de 50 ans.
Elle affecterait de 25 à 30 % des personnes âgées de plus de 75 ans.
Initialement, la DMLA ne touche le plus souvent qu'un œil. Mais le risque de
bilatéralisation (atteintes des deux yeux) est de plus de 40 % à cinq
ans